Photographies : Pierre Clauss Textes : Stéphanie Polack
« Rouler la nuit me procure la sensation d’évoluer dans un couloir de lignes et de feux. Néant. C’est bon. La chair excite ou bien déçoit. L’abstrait apaise. Je comprends mieux, en roulant, la passion de certains pour la géométrie. Parfois, je ne vois plus que les lignes, les courbes, pleines ou en pointillé, des bandes ou bien des droites, parallèles, adjacentes, des asymptotes ou diagonales se détachant du vide, du noir, se reflétant où elles le peuvent, bicolores et mouvantes, en surimpression sur les vitres. Des ombres clignotantes et accompagnatrices, enveloppantes, passantes. Des spectres. Ça me fait du bien. Je m’y glisse comme dans l’eau de mer. C’est à cause du mouvement et de la vitesse. J’aime les tunnels, le ciel, les lignes, le flou et la phosphorescence. Le vent souffle dehors, le paysage s’agite. J’ai mis de la musique et les chansons défilent à haut volume dans l’habitacle. Il fait bon. L’air ici est plus suave qu’ailleurs. Voix, airs et images, tout s’y déploie. Les images ont besoin de place. Les souvenirs aussi, en vol d’oiseaux, à ras de visage. En voiture, on peut s’attarder sur tout et, au cœur du mouvant, lire et relire des événements, repenser à des épisodes, des lettres, des films ou bien des morceaux de vie. Tout est permis, tout est vif. Les images comme les pensées (même les plus imbéciles) ont besoin de place. La route s’ouvrant leur en offre une, un genre de vide, un ciel où planer, luire et disparaître, mêlant leurs sillages effacés, s’effritant, l’une en l’autre. A l’infini. »
Stéphanie Polack Route Royale (Ed. Stock)